CARNET DE LECTURE 2021 — JANVIER

On avait pourtant évité le piège des journaux de confinement deux fois. Mais là, la sauce était trop bonne, les artistes trop forts, les lectures trop riches : de Coda à Mutafukaz en passant par Yojimbot, Adrasté, Dawn of X, Judge Dredd ou encore Marshal Law.

Antoine Boudet
18 min readFeb 1, 2021
Illutsration de couverture par Matías Bergara pour l’omnibus Coda publié chez Glénat Comics

Première lecture, première grosse frappe. Sortie l’année dernière chez Glénat Comics dans une certaine indifférence avant de prendre un peu la lumière grâce à la nomination du FIBD, Coda est une œuvre d’une densité rare et d’une beauté visuelle à couper le souffle. Cette pépite tout droit venue de l’éditeur américain Boom Studios est scénarisée par Simon Spurrier, nouvelle plume en vogue de l’industrie US qui signe ici son travail le plus original et complet.

Les douze single issues que composent l’album transportent le lecteur dans un monde fantastique, ravagé par une apocalypse ayant eu pour conséquence de le vider de toute énergie magique… ou presque. Le peu qu’il reste va devenir le centre névralgique des intérêts de tous les survivants, notamment le faux-vrai anti-héros de l’histoire, Hum, un barde qui cherche à libérer sa dulcinée d’un mal inconnu qui semble la ronger. La nature de ce dernier se dévoilant petit à petit avant de servir de pivot à l’intrigue, le scénariste peut prendre le temps de développer un univers riche dès le premier épisode. Il fourmille de détails et d’idées qui vont souvent à revers du chemin balisé que l‘on imagine arpenter au fil des pages. Une volonté d’éviter les clichés et de proposer une vision dysfonctionnelle d‘un monde de fantasy déjà présente, dans une moindre mesure, chez une autre œuvre de l’auteur, Le Befroi, sorti en France chez Akileos.

Couverture du onzième numéro de Coda réalisée par Matías Bergara

Si Spurrier est épaulé pour la partie graphique par Matías Bergara, un jeune artiste uruguayen qui s’impose clairement comme la révélation de cette lecture.
Ses planches sont foisonnantes, vivantes et dynamiques tout en restant parfaitement lisibles et jamais trop alourdies par les dialogues.
Son trait fin, ses perspectives grandiloquentes et son sens de la mise en scène, le tout sublimé par les couleurs contrastées de Michael Doig, permettent à l’intrigue de prendre une véritablement ampleur et d’offrir une aventure d’une telle générosité conceptuelle et graphique qu’elle laisse libre court à l’imagination de la prolonger. On se prendrait même à rêver d’un RPG ou d’une série d’animation.
Le texte sont traduits par Philippe Touboul, qui n’a pas eu tâche facile au vu des nombreux mots d’argots inventés et des différents styles de dialogues, du soutenu moyenâgeux à du familier plutôt moderne.

Coda est une surprenante aventure au cœur de ces terres imaginaires proches de l’extinction et paradoxalement pleine d’espoir. Les premiers épisodes se laissent pas dompter facilement. Mais au large, les vagues sont te-rribles.
Ultimes arguments : plus de trois cents pages, trente euros et surement le meilleur bouquin de la collection comic-book de l’éditeur. Ça se tente, quand même.

Couverture de l’intégrale d’Adrastée réalisée par Mathieu Bablet et publié au Label 619 / Ankama

La sortie de Carbone⁶ & Silicium¹⁴ a définitivement confirmé, à ceux qui en doutait encore, tout le génie de Mathieu Bablet.
Après avoir pris une première claque en 2016 avec Shangri-La, œuvre de science fiction d’une radicalité et d’une rage fascinante, j’avais découvert sa toute première création : la perturbante mais néanmoins touchante La Belle Mort. L’étape suivante semblait évidente ; elle aura cependant mis un peu de temps à s’imposer. Celle de plonger dans les bras d’Ἀδράστεια.

Deuxième œuvre solo de l’artiste grenoblois, Adrastée raconte la quête de sens d’un homme, héritier immortel du peuple oublié d’Hyperborée, traversant la Terre à la recherche des Dieux de l’Olympe. La passion de Mathieu Bablet pour la mythologie grecque, qu’il explique très bien lui-même dans une interview pour 9emeArt, lui a donné envie d’investir cette incroyable galerie de personnages et de créatures fantastiques tout en évitant de faire une simple relecture des écrits de Homère ou de Hésiode. Le résultat est assez bluffant, avec un récit contemplatif porté par une colère mêlée d’incompréhension ainsi qu’une surprenante candeur.

Couverture du tome 2/2 d’Adrastée réalisée par Mathieu Bablet

Si la proposition scénaristique divise forcément le lectorat en deux catégories (ceux connaissant la mythologie et les autres) l’œuvre semble malgré tout peu parasitée par le manque de connaissance.
Quelques subtilités sont de fait réservées aux ‘connoîsseurs’, certes, mais les enjeux du voyage philosophique sont totalement limpides.
Et cela ne vous empêchera pas de prendre, une fois n’est pas coutume, une mandale graphique. Une bonne hein, avec l’élan et tout, attention. Belle mandale quoi.

Déjà, les couleurs quittent les tons saturés de La Belle Mort pour aller vers quelque chose de plus brillant et chaleureux. Si la ville a été croqué en long et en large dans sa précédente œuvre, c’est ici pour lui l’occasion de s’attaquer à des paysages naturels beaucoup plus variés, ainsi qu’aux jeux de lumières qui vont avec. Les planches les plus sublimes de l’album sont parmi ces paysages, comme autant de moment hors du temps qui rappellent les œuvres vidéoludiques de Fumito Ueda ou dans une moindre mesure certains plans aériens de la trilogie The Lord of the Rings de Peter Jackson.

Seh, quel plaisir ! Grâce à Adrastée, sa beauté graphique, son fantastique voyage et sa légendaire ‘Label 619 qualität de fabrication’, déjà. Mais aussi grâce également à l’incroyable reconnaissance du travail de l’artiste français que l’on peut observer en ce début d’année : des entretiens dans de nombreux titres de presse et sur de prestigieuses radios, le prix Fnac France Inter 2021… Bientôt élu Sauce God de la BD par le peuple.
#Bablet2027

Couverture de The Few réalisée par Hayden Sherman

C’est parti pour le teasing. Je me suis attaqué à une énième relecture de The Few, la toute première œuvre éditée par Hi Comics — branche comic-book de Bragelone pilotée par Sullivan Rouaud.
Originalement publié chez Image Comics aux USA, le récit de Sean Lewis & Hayden Sherman est une passionnante plongée dans un monde à l’agonie au travers du parcours d’une jeune femme au passé trouble et à l’âme en plein tourment. Une des lectures les plus marquantes de ma vie, sans contestation. D’une puissance évocatrice folle et d’une inventivité surprenante, cet ouvrage aux thématiques très personnelle s’inspire autant du premier long-métrage Mad Max de George Miller que du roman The Road de Cormac McCarth comme il emprunte aux univers graphiques de, pêle-mêle, Ashley Wood, Jim Mahfood et Frank Miller.

Je ne vais pas rentrer dans les détails car je vous réserve ça pour un petit format audio. Ouais, on s’essaye au podcast, ouais. On va voir ce que ça donne, faut encore que je maîtrise un peu mieux Garage Band mais l’idée va-t-être de vous raconter The Few pour vous donner envie de lire The Few. Parce c’est important de lire The Few. D’ailleurs si vous lisez ces lignes, vous êtes un early reader et pour ça : merci. L’idée sera pas de faire que ça, mais ce sera le pilote qui sera upload sur Soundcloud dans le courant du mois de février inshallah. En attendant, il y a un peu du bon son sur la page.

Et maintenant, pour meubler : flash info.

Couverture du premier tome d’Ao Ashi réalisée par Yûgo Kobayashi

Ancien libraire, journaliste et fondateur de feu ARTS Company, aujourd’hui éditeur chez Hi Comics, un peu beaucoup auteur d’Astra Mortem et carrément daron, celui que l’on surnomme “le jeune loup de Hauteville” aka bae le bro aka Sullivan Rouaud a décidé de rajouter une nouvelle casquette sur une tête déjà bien occupée : celle de responsable d’une collection de manga, la bien nommée Mangetsu 満月, ‘pleine lune’ en japonais.
Le lancement est prévu pour mai 2021 avec la sortie des deux premiers tomes d’un hit annoncé, Ao Ashi de Yûgo Kobayashi, réunissant tout le potentiel pour devenir le naturel successeur de Captain Tsubasa. On en reparlera évidemment très bientôt.

Après trois ans et une collection de comic-book qui s’enrichit chaque année de petites pépites indépendantes comme These Savage Shores ou Maestros, le duc de Hi Comics reste The Few.
Rendez-vous ASAP pour les dingueries sur Soundcloud.
Rendez-vous en mai prochain pour Mangetsu.
Lisez The Few.

Couverture de l’édition collector du septième numéro de Dawn of X réalisée par Leinil Francis Yu

La publication française de Dawn of X était l’une des belles attentes comic-book de l’année dernière. La suite du travail de Jonathan Hickman était attendue par des fans, qui ont plutôt été contentés avec six premiers numéros un peu fourre-tout et très introductif mais qui redonnaient enfin des couleurs aux mutants que l’on avait pas vu depuis très longtemps. Pour ceux qui ont raté la révolution qui a eu lieu chez les X-Men, tout se passe dans House of X / Powers of X, deux mini-séries réunies dans quatre albums souples chez Panini Comics. C’est de la bombe. Mais si vous ne les avez pas lu, c’est sûr que la suite va être dûr pour vous. Juste pur vous un tl;dr : la suite est pas mal mais lisez HoX / PoX.

Les septièmes et huitièmes numéros de Dawn of X prolongent donc logiquement les intrigues des cinq séries régulières (bye bye Fallen Angels, personne ne te regrette) tout en accueillant le retour de Wolverine, dessiné par Adam Kubert.
Force est de constater le niveau de brute épaisse dont le dessinateur fait preuve. Rares sont les planches bâclées par l’américain depuis le début de sa carrière (à l’exception notable d’AXIS qu’il vaut mieux collectivement oublier) et pourtant, celles-ci sont à ranger tout en haut du panier de ses meilleurs travaux.
On constatera aussi une petite prise de pouvoir scénaristique de Benjamin Percy sur ces deux volumes, en écrivant cette série ainsi que X-Force et en bénéficiant de l’absence de certains titres le temps d’un numéro.

Couverture de l’édition collector du huitième numéro de Dawn of X réalisée par Russel Dauterman

Mais Jonathan Hickman reste le boss. Que ce soit avec cet épisode #007 de la série principale qui imagine un rituel guerrier pour les mutants ayant perdus leurs pouvoirs lors du Jour M ou avec le Giant Size totalement prétexte à un remake du New X-Men #121 de Grant Morisson et Frank Quitely : le scénariste et ses dessinateurs, Leinil Francis Yu & Russel Dauterman, font preuve d’une joie assez communicative à l’idée d‘imaginer des concepts et de jouer avec toute la riche histoire éditoriale des personnages. À défaut d’un véritable développement émotionnel, on prend le fun. Ah et New Mutants, c’est bien marrant. Bon, par contre, pour Excalibur & Marauders, on est sur un bon gros meh bien soufflé par le nez.

Peu de lectures chez Marvel m’attirent vraiment en ce moment. À part les mutants donc, qui se distinguent par une forme d‘indépendance assez réjouissante avec le reste de l’univers partagé. En plus, Si Spurrier arrive après le gros event X of Swords à venir.
Reste aussi la partie gérée par Donny Cates. Mais je n’ai pas encore lu grand chose, à l’exception de son excellent Silver Surfer : Black.

Couverture de premier tome de Judge Dredd : Les Affaires Classées réalisée par Ian Gibson

C’est mon cadeau de Noël ! Une bonne dose de fascisme du futur pour fêter l’avènement du divin enfant. Par-fait. Outre le patriarche rouge, c’est le second podcast Comics et politique de First Print consacré à la BD undergound anglaise et américaine qui m’a donné envie d’enfin m’attaquer aux originaux de Judge Dredd. Autant dire que la lecture de ces tout premiers épisodes de l’histoire du personnage a été, par moment, déconcertante.

L’album de Delirum, première intégrale d’une magnifique collection réunissant chronologiquement les premiers récits du Juge publiés, propose une préface bien venue qui contextualise l’œuvre et cite les sources d’inspirations des auteurs. Mais le récit de la création de Dredd est diablement chaotique. Crédités comme créateurs, John Wagner & Carlos Ezquerra ne sont pas les artistes qui signent la première histoire du personnage publiée dans le magazine 2000AD Leur travail “original”, publié en toute fin d’album, n’a été dévoilé que bien plus tard. Celui-ci a demandé de nombreuses réécriture et a fini par ne plus satisfaire personne, poussant l’éditeur Pat Mills à confier à d’autres artistes le personnage conceptualisé par les deux hommes. Pourtant, force est de constater que s’il n’est pas tout à fait cohérent en terme d’architecture, cette œuvre originale introduit bien mieux l’ambivalence du personnage que la toute première publication. Et celles qui suivent aussi.

Illustration du personnage de Judge Dredd réalisée par Brian Bolland

Il faudra attendre que passe différents scénaristes avant que Wagner décide de prendre les choses en main pour affirmer le ton et distiller virulente charge anti-capitaliste d’intrigues en intrigues. La qualité scénaristique est exponentielle et va de paire avec une valse de dessinateurs inégaux, dont on soulignera le jeu de jambe d’Ian Gibson, de Mike McMahon et surtout de Brian Bolland. Ses planches semblent bien plus intemporelles que celles de ses collègues, l’artiste se permettant souvent de casser les codes narratifs de la série.

Après soixante épisodes, un constat : plus de quarante ans après publication, ces récits tapent autant juste aujourd’hui qu’ils dévoilent les stigmates de l’époque qui les a vu naître.
John Wagner semble énervé et compte bien profiter de sa création pour le faire savoir. Avec Robot Wars, il imagine une révolte populaire des robots qui va déraper en mouvement révolutionnaire fasciste et dont l’issue ultra désenchantée offre peu d’espoir aux lecteurs, qu’ils aient lu ces pages sous Tatcher & Regan ou qu’ils les lisent sous Johnson & Trump.
À noter aussi que le rythme de publication hebdomadaire d’épisodes de 5 à 6 pages offre l’occasion aux auteurs de s’adonner à la bonne vieille formule du ‘freak of the week’. L’exercice donne autant de lectures anecdotiques sur un random bad guy nul que de petits high-concepts bien vénère. On a même parfois le droit à des grosses privates jokes entre artistes du magazine — spoiler mais un dénommé Kevin O’Neill glisse une tête et il est pas commode.
Une lecture datée mais des plus intéressantes, sublimée par la traduction de Philippe Touboul, à croire que ça va devenir une habitude.

Une capsule temporelle britannique qui, tout comme la passion que transpire ce cher Corentin, m’a donné envie d’explorer encore un peu plus la passionnante histoire de 2000AD et l’époque qui a vu naître le magazine. Parait même qu’il y a des gemmes d’un certain Alan Moore qui trainent.

Couverture de l’intégrale Marshal Law réalisée par Kevin O’Neill

À croire que je me suis moi-même imposé des lectures aux critères très stricts : le personnage principal doit être une figure d’autorité fasciste satirique créée par des artistes britanniques punks. Marshal Law coche toutes les cases et, pire, m’a claqué une bonne grosse tarte de manière surprenante. Vous verrez que c’est récurent la variation des expressions de la gifle. Mais comprenez ma joue.

Pat Mills est l’un des fondateurs de la maison mère de Judge Dredd, le magazine 2000AD, mais également à l’origine de nombreuses initiatives éditoriales en Grande-Bretagne ainsi qu’accessoirement scénariste. Voyant le succès de la publication anglaise, Epic Comics, branche indépendante de Marvel dans les années 80, lui propose naturellement de travailler pour eux. Accompagné du formidable dessinateur Kevin O’Neill, l’auteur va profiter de suivre de près Watchmen & Dark Knight Returns pour, tous ensemble, mettre un dernier cou de canif au cercueil de la figure paradoxale du super-héros américain créée dans les années 40.

Affiche promotionnelle de Marshal Law réalisée par Kevin O’Neill

Tout le monde y passe.
Tout les plus grands héros des panthéons DC Comics et Marvel, le tout dans un balek absolu de la propriété intellectuelle. La Maison des Idées abandonnera d’ailleurs le titre après six numéros, pour que le personnage soit récupérée par une maison d’édition anglaise après 1990, et finalement être aujourd’hui rééditée chez DC Comics et Urban Comics en France dans une magnifique intégrale traduite par… Philippe Touboul. Le crack.

On sent la jubilation des deux sales gosses à l’idée de broyer de l’en-capé par paquets de douze autant qu’à celle de porter une critique radicale de la domination culturelle, idéologique et militaire des USA sur le reste du monde.
Comme les deux autres œuvres citées plus haut, Marshal Law s’applique à démystifier tous les codes du genre pour mieux les pervertir et s’en moquer avec jouissance mais aussi pour s’en servir à questionner sa propre entreprise de destruction du mythe. La différence réside dans l’énergie démoniaque que les anglais mettent à détruire tout sans aucune auto-censure — j’en veux pour preuve leur vision du panthéon Marvel après avoir été virée par cette dernière. Un carnage.

Au delà de la portée symbolique du récit, la lecture peut aussi se justifier uniquement sur la présence de quatre cents planches de Kevin O’Neill, toutes plus sublimes les unes que les autres. Artiste plus connu pour son travail sur La Ligue des Gentlmen Extraordinaires d’Alan Moore, il perfectionne un style très marqué et anguleux qui laisse assez peu indifférent, dans un extrême comme dans un autre, mais qui offre un découpage de l’action d’une précision unique et des images parfois proches de la gravure. D’autant plus que le bougre réalise lui-même ses couleurs, lorsqu’il ne les confient pas à Mark Chiarello.

La somme de talents forment un tout cohérent, dans le ton et dans le propos, avec une ambiance crade ornée de couleurs chatoyantes. Maître Pièce, sans contestation. Attention hot take : Marshal > Dredd. Déso pas déso.

Couverture de Yojimbot réalisée par Sylvain Repos

A NEW CHALLENGER.
Ralalaaa la scène FR regorge de talentueux artistes depuis tant d’années et le réservoir semble encore assez stock pour offrir de nombreuses belles découvertes dans les années à venir ! Dernière en date : Sylvain Repos et son Yojimbot, héros terriblement charismatique directement inspiré de Lone Wolf & Cub et de Star Wars dont le premier tome des aventures vient tout juste de sortir chez Dargaud.

Une première œuvre de bande dessinée qui signe des débuts plus que p*tain de prometteur, si vous m’accorder l’abus de langage. Avec de longues séquences silencieuses laissant le découpage ultra efficace rythmer la lecture, Yojimbot impressionne par sa générosité graphique. Épaulé de Noiry aux couleurs, les deux livrent un travail remarquable, ne demandant que plus de pages pour se poursuivre.

Planche du premier tome de Yojimbot réalisée par Sylvain Repos

Concernant l’intrigue même, celle-ci est très classique et épurée. Sylvain Repos imagine une Terre abandonné de l’Homme en 2241. Seuls des robots arpentent les ruines laissés par l’humanité. L’un d’entre eux va cependant croiser la route de Hiro, un jeune garçon, qu’il va devoir protéger. Une lecture simple mais très loin d’être simpliste, où si la fluidité est le mot d’ordre, chaque élément semble pensée pour construire une toile de fond qui devrait s’étoffer de tomes en tomes.

Cependant, l’ambiance de l’album se révèle finalement bien plus tout public que ce que je pouvais personnellement en attendre. Au détour d’un tweet, RUN évoquait le fait que le projet était passé par les bureaux d’Ankama. Rien de surprenant tant les influences et inspirations semblent communes, mais le ton et le propos de Yojimbot sont bien loin des audaces narratives des productions 619.

Il apparait, cela dit, bien difficile de lui reprocher cela pour une première œuvre. D’autant plus lorsque celle-ci est aussi aboutie graphiquement et que les rares éléments mis en place en terme narratifs semblent solide et ne demande qu’à être développer par la suite.
En parlant de suite, l’univers de Yojimbot semble d’ores et déjà promis à plus que de simples albums de BD. Pour preuve, des histoires courtes au format Webtoon sous-titrées Stories sont prévus, avec un premier numéro déjà disponible, pour prolonger le voyage dans ce Japon à l’abandon. De là à s’imaginer un film d’animation…

La pépite du mercato hivernal.
Si Mathieu Bablet = Kylian Mbappé, Sylvain Repos = Ansu Fati.

Couverture de l’intégrale de Mutafukaz réalisée par RUN

Et alors RUN… = Luis Suarez ?
Autant j’ai eu l’occasion d’échanger une longue heure avec lui via Skype à l’époque d’ARTS pour un article fêtant les dix ans du Label 619, autant je n‘ai pas assez d’éléments pour confirmer si la comparaison fonctionne au niveau du mordant. Mais son travail parle pour lui.
De Mutafukaz, ses spin-offs et son adaptation au cinéma, à Doggybags, véritable bac à sable pour le vivier de talent réunit par l’artiste-éditeur, en passant par toutes les œuvres publiées par le Label 619 qu’il supervise : RUN semble aussi énergique, généreux et passionné que le sportif uruguayen.

Quand je découvre l’œuvre en 2016 pour préparer l’interview, Mutafukaz avait fait déjà fait grand bruit depuis la sortie du premier tome en 2006, malgré un statut un peu isolé par rapport au reste de la production nationale.
Pourtant, dix ans après sa création, en pleines manifestations contre la Loi Travail et alors que la présidence Trump débutait, l’univers patchwork aux innombrables influences additionné par RUN résonnait d’une manière assez folle avec l’époque.

Planche de Mutafukaz réalisée par RUN

À l’instar d’un Joe Dante ou d’un Quentin Tarantino, RUN semble porter un tel amour pour toute la culture populaire du XXème siècle que sa seule façon de s’exprimer passe par la réappropriation de ces codes visuels et narratifs pour mieux développer son propos. Dans le cas présent, c‘est au travers de la quête initiatique d’Angelino que RUN va dépeindre la vision d’un monde qui regorge de mystères, aux intrications tellement aléatoires et potentiellement infinies que toute valeurs morales soutenant les croyances religieuses paraissent archaïques et aux conséquences sociales bien réelles des absurdités politiques. Seule la quête de l’amour, quitte à ce que celui-ci soit un peu aveugle et destructeur, et de l’acceptation de soi-même semble avoir de sens. Ou peut-être que j’extrapole un peu.
Mais le conglomérat d’influences évoqués tout au long des presque six cents pages de l’album forme un tout d’une hallucinante cohérence et d’une redoutable capacité à surprendre son lecteur, avec des changements de tons ou des expérimentations graphiques chaloupées.

J’en profite pour glisser également deux mots sur le totalement taré Métamuta de Jérémie Labsolu, publié entre les tomes deux et trois de la série et qui explore la psyché d’Angelino en plus d’offrir des révélations sur ses origines. La lecture est assez raccord narrativement mais est tellement radicale en comparaison, avec un style graphique à mi-chemin entre le dessin d’enfant et les tâches d’encre utilisées pour les tests de Rorschach, qu’elle m’est légèrement tombée des mains. Facultatif même si fascinant.

Planche de Mutafukaz réalisée par RUN

En tout cas, c’est une bien belle bête cette intégrale augmentée de Mutafukaz, blindée à raz-bord de scènes d’action frénétiques, de délires graphiques en tout genre, de personnages touchants et d’hommages érudits à de nombreuses cultures et mythologies populaires.
Et quelques savoureux deus ɛks makina, en supplément.
Prochain arrêt : une relecture de Puta Madre et la découverte de Loba Loca en attendant l’arrivée du troisième spin-off, Mutafukaz 1886, le mois prochain. Après ça, on attendra sagement la suite annoncée des aventures d’Angelino à Dark Meat City.

RUN a voulu dépoussiérer la manière dont on envisageait la bande dessinée en France. Résultat : il a ringardisé la vieille école pour imposer sa vision par l’exemple.
Luis Suarez x Pep Guardiola finalement. L’ambiance sud-américaine.

Couverture de l’édition poche française des Spectres de la Terre Brisée réalisée par Rui Ricardo

Histoire de déculpabiliser du fait que je lis exclusivement de la BD depuis le début de l’année, j’ai reservé la fin du carnet pour tout ce qui concerne les textes sans image. Il aura fallu que résonne l’appel de l’Ouest pour que je plonge dans les pages des Spectres de la Terre Brisée. Même si, en vrai, je ne l’ai pas encore fini.

Ce petit western littéraire est écrit par le réalisateur S. Craig Zahler, publié par Gallmeister et conseillé par un twittos validé par la street. Et je pense clairement que le BluRay du premier Read Dead Redemption a tourné des bons milliers de fois dans la PS3 de l’auteur avant la rédaction du roman. L’ouverture poisseuse du premier chapitre installe cependant une violence physique et symbolique encore plus évocatrice que l’œuvre vidéoludique, laissant pendant toute la première partie une trainée désespérée dans le ciel grisonnant.

Je me suis arrêté une fois que les enjeux et les différents caractères qui composent le petit roaster de personnages étaient bien définis. En espérant que la suite de Wraiths of the Broken Land soit du même acabit, on en reparlera certainement si c’est le cas.

Et c’est la fin de ce Carnet de Lecture, le premier de cette année 2021.
Autant je n’ai pas fait tout ce que j’avais prévu de faire en janvier, autant une chose est sûre : j’ai lu que de la grosse frappe ce mois-ci.
Ma seule résolution pour 2021 est donc celle-ci : continuer à lire que de la grosse frappe. Je vous conseille évidemment de faire la même chose.
N’hésitez pas à partager les grosses frappes que vous lisez en ce moment sur les rzo ou ici-bas dans l’espace maudit que l’on nomme les commentaires.

À très vite sur cette petite page Medium, sur Soundcloud, sur Instagram et sur Twitter pour assumer mes propos à la manière de Kalash Crimi’ ou Nicolas Bedos… Des bisous ! ♥︎︎

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Antoine Boudet

Journaliste indépendant, passionné par les cultures de l’imaginaire